LA REVUE DES CONTRIBUTIONS INDIRECTES
A - LA TAXE DE 1‰ SUR LES MOUVEMENTS DE FONDS
Les auteurs de la proposition de loi no 711 visent à amorcer une réforme profonde de la fiscalité française dont ils constatent les défauts les plus graves, notamment les taux excessifs qui incitent à la fraude.
Ils pensent que l'institution d'impôts non déclaratifs à grand rendement, quoique de taux extrêmement faibles, autorisant une réduction progressive des impôts directs et indirects existants, permettrait de rendre plus équitable le système fiscal et en faciliterait l'application.
Dans cette perspective, ils suggèrent, comme une première mesure, une réduction très substantielle (50% environ) de l'impôt direct sur les revenus dont ils constatent le caractère injuste et les effets stérilisants.
Pour financer une perte de recette aussi importante ils prévoient l'institution, au profit de l' Etat, d'une taxe de 1‰ sur les mouvements débiteurs et créditeurs des comptes ouverts au nom des personnes physiques et morales dans les banques et divers autres établissements autorisés à tenir des comptes de capitaux pour les tiers. Toutefois, les mouvements de transfert réalisés dans les établissements énumérés (banques, établissements financiers, courtiers en valeurs mobilières, agents de change, comptables publics, etc.) Ne seraient pas imposables.
Pour que l'application de la taxe ne conduise pas les titulaires de comptes à effectuer des règlements sans recourir aux services des banques et établissements assimilés, la proposition de loi rend obligatoire l'emploi du chèque barré ou du virement pour les règlements d'un montant supérieur à 1.000 NF, interdit d'endosser plus d'une fois les chèques d'un montant supérieur à 1.000 NF et supprime le chèque au porteur. Elle prévoit, en contrepartie, l'obligation d'accepter les chèques en payements, un fond de garantie à la Banque de France pour couvrir les risques des chèques sans provision et une aggravation des sanctions réprimant les infractions à la réglementation des chèques.
Enfin, le texte prévoit l'utilisation des fonds, recueillis par l'institution de la taxe, ces fonds étant affectés, pour leur plus grande part, à un aménagement du barème de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et, pour le surplus, à une diminution des taxes indirectes frappant les produits de consommation courante.
B - LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'ETUDE FISCALE
Les observations de la Commission concernent, d'une part, la taxe sur les mouvements de fonds elle-même et, d'autre part, le nouveau barème sur le revenu des personnes physiques.
1 - LA TAXE SUR LES MOUVEMENTS DE FONDS
L'institution du prélèvement de 1‰ sur les mouvements de comptes bancaires et postaux pose de multiples problèmes.
Ceux-ci ont été successivement examinés par la Commission dans l'ordre ci-après :
La taxe s'analyse, au point de vue de la technique fiscale, en un impôt indirect en cascade, collecté par des intermédiaires obligés. Ses modalités d'assiette, de recouvrement et de contrôle pourraient dès lors s'inspirer de celles en vigueur pour l'impôt sur les opérations de bourse et les taxes sur le chiffre d'affaires.
Des difficultés sont cependant à prévoir, car la notion de "comptes ouverts", support de l'imposition, est une notion de technique comptable, non de droit fiscal. Dés lors, au niveau de l'assiette, si la taxe frappait tous les mouvements , même ceux correspondant à des opérations d'ordre, elle pénaliserait les opérations donnant lieu à décomposition comptable; mais si elle ne frappait que certains mouvements, elle serait d'une application extrêmement délicate car il serait particulièrement difficile, sinon impossible aux banquiers, en raison du nombre et de la variété des comptes, de suivre distinctement les opérations taxables et les opérations exonérées.
A un autre point de vue, la taxe ayant le caractère de frais de paiement serait normalement déductible des bénéfices imposables des entreprises industrielles ou commerciales passibles de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ou de l'impôt sur les sociétés.
La majorité de la Commission s'est prononcée pour le respect de la règle, c' est - à dire pour la déductibilité de la taxe. Quoiqu'il en soit si, pour des raisons économiques, de rendement etc. , une solution opposée devait prévaloir, elle a estimé que le texte du projet de loi devrait être nécessairement amendé.
Pour éviter des répercussions fâcheuses sur le commerce extérieur, il serait sans doute nécessaire d'envisager un remboursement forfaitaire à l'exportation et une perception forfaitaire à l'importation, mais de telles mesures seraient d'une application délicate et seraient, au surplus, source de difficultés sur le plan des accords internationaux.
Enfin, le recouvrement et le contrôle apparaissent commodes, car la taxe serait acquittée par mille contribuables environ présentant d'incontestables garanties.
Sur le plan des payements, l'obligation d'utiliser le chèque ou le virement pour les opérations supérieurs à 1.000 NF, ne constitue qu'une généralisation de la mesure édictée par la loi modifiée du 22 octobre 1942. Elle n'appelle aucune objection particulière. Par contre, l'interdiction d'endosser plus d'une fois un chèque à l'ordre de l'établissement chargé de l'encaissement - interdiction qui a pour but de limiter les effets de l'évasion fiscale - se heurte au dispositions formelles des conventions internationales sur le chèque signées par la France à Genève, le 19 mars 1931.
Compte tenu des difficultés liées à la procédure de modification ou à une dénonciation de ces accords, la Commission a estimé que la disposition envisagée par les auteurs de la proposition de loi ne pourrait être maintenue et qu'il convenait de rechercher d'autres solutions, par exemple une taxation particulière des endos aboutissant pratiquement à leur interdiction.
Quant au fonds de garantie destiné à couvrir le risque de paiement des chèques sans provision - fonds dont la constitution est rendue inévitable du fait de la généralisation de l'utilisation du chèque au-dessus d'une certaine somme - s'il peut favoriser le développement de la monnaie scripturale - il apparaît néanmoins comme de nature à favoriser la multiplication des chèques sans provision.
L'organisation comptable des banques répond à des nécessités d'ordre commercial et n'est pas, essentiellement, orientée par des préoccupations fiscales. Les exigences de la perception d'une taxe sur les mouvements des comptes rendraient donc inévitable une réforme onéreuse de cette comptabilité, pour des considérations qui ne constituent pas la raison d'être des banques.
Sur le plan des habitudes de payement, l'institution de la taxe risque d'avoir des conséquences graves. La politique bancaire a été placée depuis une quinzaine d'années sous le signe de la liberté et de la gratuité. Elle s'est traduite par le "doublement en dix ans" du volume des dépôts en banque. On peut , dès lors, redouter que la taxe, qui va à l'encontre de cette politique fructueuse, n'incite à l'utilisation plus systématique des billets, à la clôture de nombreux comptes bancaires ou postaux et qu'elle ne développe les payements par compensation interne dans le cas d'entreprises à succursales multiples ou entre firmes appartenant à un même groupe - compensation aboutissant, en quelque sorte, à la création d'une monnaie scripturale "parallèle" concurrençant la monnaie des banques. En bref, il paraît possible de retenir l'hypothèse d'une contraction sensible de l'activité des banques dont le rôle est pourtant capital dans le domaine de l'organisation des payements, du crédit ou encore de la régularisation du système monétaire.
Les milieux bancaires représentés à la Commission ont manifesté de vives inquiétudes et appelé tout particulièrement l'attention sur les répercussions fâcheuses qu'entraînerait selon eux l'adoption de la taxe, non seulement dans leur propre secteur d'activité, mais sur le plan général de la monnaie, du crédit et de l'économie.
Par contre, les auteurs du projet ont maintenu que celui-ci devrait être à l'origine de nouveaux progrès puisque, en rendant obligatoire le paiement par chèque au-dessus de 1000NF, en interdisant les chèques au porteur, en instituant un fonds de garantie, il tend à faire des mouvements de compte le seul moyen de paiement légal pour la très grande majorité des transactions. Le projet va bien de ce fait, dans le sens du progrès monétaire tel qu'on le conçoit généralement.
Quoiqu'il en soit, la Commission dans son ensemble a estimé que des risques sérieux de fuite devant le chèque subsisteraient en tout état de cause.
Si, au contraire, la taxe n'est pas incorporée dans les prix il en résultera, du fait de la diminution du bénéfice imposable, une réduction de l'impôts sur les sociétés égale à 5% du produit de la taxe, dont le rendement net se trouvera ainsi réduit de moitié, etc.
Il y a lieu de noter que les auteurs du projet s'étant placés dans l'hypothèse d'une taxe non déductible et non incorporée au prix, les rendements bruts et nets devraient être égaux. Mais, si le problème de la déductibilité du bénéfice imposable peut-être clairement réglé par les textes, il n'est nullement établi que les prix demeureront inchangés et le problème du rendement rejoint ainsi la question de la répercussion de la taxe.
Problèmes économiques et sociaux
Au point de vue fiscal, la taxe a le caractère d'un impôt indirect, mais au point de vue économique elle présente les caractéristiques d'une part, d'un impôt direct au taux de 2‰ (puisqu'elle s'applique aux débits et crédits) dans la mesure où elle frappe les ressources ou les dépenses des particuliers, d'autre part, pour le surplus (évalué à 2,1 ou 2,2 milliards de NF) d'un impôt indirect "à cascades".
La Commission a estimé que la nouvelle imposition se répercuterait sur les coûts dont la hausse atteindrait en moyenne, 0,7 à 0,8%. Même si, dans le climat de quasi - libération économique qui prévaut, elle ne devait pas s'inscrire fatalement dans les prix, elle constituerait néanmoins un facteur d'alourdissement de ceux-ci.
Toutefois, les auteurs du projet pensent que les effets sur les prix seraient nuls ou insignifiants.
Par ailleurs, le produit de l'imposition doit être, pour l'essentiel, sinon dans son intégralité, affecté au financement d'une réduction de 50% de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. L'institution de la taxe aboutirait donc à faire supporter partiellement la mesure par les personnes qui ne sont pas actuellement soumises au dit impôt, autrement dit par les catégories les plus défavorisées de la nation dont les disponibilités se trouveraient amoindries du fait de la hausse des prix et, dans la mesure où elles ont un compte bancaire ou postal, du fait de la taxe. Cette constatation risquerait d'entraîner des difficultés sur le plan social si certaines compensations n'étaient pas prévues.
Les échanges internationaux et le traité de Rome
Dans son principe, la taxe ne paraît se heurter à aucune des dispositions du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne. Toutefois, l'institution d'un prélèvement forfaitaire à l'importation et d'un remboursement également forfaitaire à l'exportation, critiquables sur le plan juridique, pourrait susciter des réactions chez nos partenaires. Il est vrai que les auteurs du projet ont contesté l'opportunité de telles mesures de compensation, eu égard au poids relativement faible de l'impôt.
Les conclusions générales de la Commission sont les suivantes:
Le point de vue essentiellement technique sur lequel s'est placé la Commission, quel que soit le problème étudié, ne saurait à lui seul permettre de porter un appréciation définitive sur le projet examiné.
Les difficultés rencontrées (difficultés toujours nombreuses lorsqu'il s'agit d'une réforme fiscale, et plus nombreuses lorsqu'il s'agit d'un impôt nouveau) n'ont cependant pas toutes retenu l'attention de la Commission.
Celles qui soulèvent la définition de la taxe, la détermination des bases d'imposition, les modalités de perception lui ont certes paru sérieuses.
Plus grave lui a semblé la régression dans l'emploi du chèque à laquelle donnerait certainement lieu, jusqu'à un certain point qu'elle a estimé difficile à préciser, la taxation des mouvements de comptes; cette tendance irait à l'encontre d'une longue suite d'efforts faits par l'Etat et les Etablissements de crédit pour développer l'usage de ce mode payement et serait particulièrement regrettable dans un pays comme la France, où certains ont eu tendance à fuir les opérations commerciales au grand jour.
Quelle que soit la modicité du taux de la taxe nouvelle, la Commission a jugé inévitable, en raison du transfert de la fiscalité directe sur la fiscalité indirecte d'une charge qui serait en tout état de cause de l'ordre de 2,5 à 3 milliards de NF, une répercussion sur les prix.
Sur le plan social, la création de la taxe aurait, du fait d'une certaine incidence sur le coût de la vie, me même effet qu'un impôt sur la dépense. Par suite, et à défaut de compensations se serait les revenus modestes, notamment ceux que le jeu du quotient familial exonère d'impôt, qui supporteraient le poids du déplacement de charge devant résulter, compte tenu de la modification du barème, des mesures envisagées.
Ces compensations, si on les prévoyait, amèneraient une réduction du rendement escompté dont, par ailleurs - eu égard à une inéluctable évasion fiscale - les estimations sont déjà incertaines.
L'adaptation de la taxe aux besoins du commerce international entraînerait des complications: le Traité de Rome risque de la rendre difficile et peut-être impossible dans certains cas.
Sans doute, les auteurs du projet ont-ils fait remarquer que plusieurs des exonérations envisagées par la Commission - ayant pour effet de réduire le rendement escompté de la taxe et d'en compliquer l'assiette - ne leur paraissaient pas souhaitable et, d'un autre côté, que les arguments présentés à l'encontre du projet n'auraient un poids décisif que si la taxe était perçue à un taux élevé : ils perdraient selon eux toute valeur en raison du taux de 1‰ envisagé.
Ils ont fait observer aussi que l'allégement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques était, en tout état de cause, une nécessité à leurs yeux, et que la taxe sur les mouvements de fonds leur paraissait être parmi les moyens d'y faire face, celui qui présentait le moins d'inconvénients.
La plupart des membres de la Commission ne s'en sont pas moins montrés, soit très réservés, soit défavorables à l'institution de la nouvelle taxe qui, indépendamment de certaines difficultés juridiques ou comptables, leur a paru receler des dangers non chiffrables avec précision, mais réels, de hausse des prix, de perturbations monétaires et d'inégalité sociale.
Est-il nécessaire d'ajouter quelques commentaires aux considérations qui précèdent ? La Commission s'est livrée à un travail très approfondi, méticuleux même, pour réunir les éléments d'information utiles à une prise de position sur le projet d'institution d'une taxe de 1‰ sur les mouvements de fonds. Le Gouvernement et le Parlement doivent maintenant prendre leurs responsabilités à cet égard.
Disons seulement en terminant que, tant que l'impôt direct frappera aussi lourdement les Français, des projets comme celui présenté par M. Mirguet et ses Collègues auront, en dépit de leurs faiblesses ou de leurs défauts, la sympathie de bon nombre d'entre eux qui constatent ou subissent les injustices et les excès dus aux difficultés d'application de l'impôt direct sur le revenu des personnes physiques. En bref, on les convaincra difficilement qu'il leur faut accorder leurs préférences au régime actuel de taxation des revenus. Il st vrai que ce n'était pas le rôle de la Commission.
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.