









Habituellement le conte qui ne se veut qu'un divertissement, plonge ses racines vers un passé lointain. Celui que vous allez lire, riche d'un vécu récent tout au moins dans sa trame principale, se permet d'emprunter à naguère. Il sera difficile au lecteur de le situer exactement dans le temps. Est-il d'ailleurs raisonnable de l'assortir d'une date puisqu'à quelques variantes prés, la comédie s'est toujours déroulée aux cours des siècles, suivant le même processus. Il ne s'agit pas là d'une simple distraction. L'histoire, sur la forme à quelques exagérations prés, transformations superficielles, n'a pas été dénaturée. Ce conte est une simple invitation à la réflexion. Me suis-je bien fait comprendre ? Ne me tenez pas rigueur d'un déséquilibre certain entre la longueur de la mise en scène du procès et le dénouement. Il ne peut y avoir pour moi qu'une priorité : "que vous puissiez vous rendre compte du triste état de notre monde médical, en esquissant quelques sourires sur une personnelle transposition.
Cette année là, quand bien même aurions-nous été en République, des Conseils dits distingués, se tenaient tous les mois dans le chef-lieu de chaque département. Des réunions d'un drôle d'Ordre, puisqu'y participaient tous les "Sganarelles", médecins conventionnés, de gré ou de force. Tous les membres de l'illustre et intolérante secte revêtaient en cette occasion, la grande robe noire. Il n'était pas question ni coutume, de glisser un pantalon par dessous. Quelle en était la raison ? ma foi ! je laisse à chacun le soin de la préciser. Etait-ce pour favoriser la ventilation et suivre aveuglément les Dogmes ? Ils ajoutaient à cette robe prestigieuse que d'incurables malades baisaient avec ferveur au moment du trépas, un jabot dont la couleur correspondait à la conduite de "l'enrobé". Le gris relevait de l'objecteur, du faux-frère ; de ceux qui par leurs agissements semblaient contrarier la confrérie. Ils n'étaient d'ailleurs que peu à supporter cette couleur. Le beige parait le cou des jeunes loups ou aspirants; l'or éclaboussait le noir vêtement des purs ; ceux, sur qui pouvait se reposer l'industrie lucrative du médicament de synthèse. Existait pourtant une nuance sur cette singulière cravate. Un point coloré sur la pointe gauche de cette parure pouvait adopter la couleur rose, rouge ou violette. Il marquait alors le degré d'instinct "psittaciste". De remarquables perroquets dont le talent à répéter sans analyser, atteignait sa valeur maximale dès que le violet rond et épais, comme un pion d'un jeu de dames, ornait le jabot. Ah, j'oubliais ! : le chapeau de feutre noir. Comment pourrais-je vous le décrire ? En quelque sorte, un anneau noir horizontal sur lequel se serait pîté un tronc de cône tout aussi noir avec en proue, une boucle pareille à celles des souliers, utilisés sous Louis le Magnifique. Ce flot important d'hommes de l'art, envahissait le jour J les salles de tribunaux, que la Justice prêtait complaisamment. Ronds de jambe, gestes larges, ils mettaient tous le «paquet » pour animer les décors. Congratulations, gestes de condescendance, conversations de grand style certains s’essayant à pontifier, tout en regagnant leur place numérotée, attribuée depuis longue date.
Juchés sur la grande estrade, cinq dignitaires à la perruque blanche parrainaient cette assemblée protocolaire voire guindée mais bruyante. Les bras s'allongeaient sur les pupitres, les doigts pianotaient sur le noyer patiné. On se serait crû dans un concert...de langues ! Quel brouhaha messires.! Si l'auditoire en était à sa leçon de piano, les cinq hauts-juchés, semblaient jouer avec plus élégamment. Tantôt, le coude replié, un index aux nues, autoritaire. Arrivaient inévitablement la surenchère avec le coude toujours replié, l'index et le majeur accolés, dirigés vers la voûte céleste; n'était-ce point un geste papal protecteur?
Aux trois coups de marteau frappés par le président, le silence solennel prenait le relais. Chacun alors adoptait une attitude digne presqu' imposante. D'une voix forte, déplaisante, le Président annonçait l'ouverture de la séance. L’heure semblait propice au jugement, quelle aubaine ! Le tenant du maillet faisait alors signe à deux personnages placés prés de la porte du prétoire. Leurs larges épaules, leurs mines patibulaires, inspiraient la crainte. On disait en coulisse, qu'ils professaient en tant qu'infirmiers dans un hôpital psychiatrique. Ces derniers ouvrirent la porte, disparurent un instant pour revenir solennellement, encadrant un petit bonhomme l'œil vif, décidé. L'isolement auquel il avait soumis ne semblait avoir atteint que sa démarche, lente, étudiée, consécutive sans doute à de longues réflexions. Un long murmure emplit la salle. Les hommes de l'art venaient de reconnaître un de leurs ex-collègues. Il avait été radié de l'ordre des médecins pour avoir entre autres, pratiqués des actes médicaux "contre nature". Il poussait le vice jusqu'à forcer ses patients à la réflexion, à la saine estimation du soi de chacun. Ceci entraînait le sujet à se prendre en charge et à répudier du coup le "docteur synthétique". Mené au box des accusés il fut installé entre ses deux gardes du corps. Quelques secondes après entrèrent les plaignants qui se partagèrent les premiers bancs pupitres, de la vaste pièce.
Le premier qui vint à la barre fut le père de l'une des "victimes". Il répondit sans hésiter aux questions des avocats accusateurs. Le lavement infligé à son fils, n'avait jamais été à sa convenance. Il y voyait un viol prémédité, un sadisme du praticien et se souciait fort peu du résultat magistral de cette épreuve pourtant douce et décongestionnante. Le témoin suivant, jeune encore mais perclus de rhumatismes, vitupéra longuement contre l'accusé. Il voulait, disait l'ancien patient, contrarier les conseils d'un éminent spécialiste, l'invitant à user de corticoïdes. :<< Sale donc moins ta soupe pendant la cuisson et mange moins de viandes >>, lui avait prescrit le toubib déchu. La salle partit d'un rire discret mais désapprobateur. Vingt personnes défilèrent devant les juges placés à bonne hauteur. Toutes accablèrent le proscrit, exceptée l'une d'entre - elles plus courageuse qui déclara tout net que ces remèdes de "bon sens " l'avaient remis sur pied. L'accusation invoqua la folie passagère de l'homme et les arguments non fondés du seul miraculé, d'un docteur peu orthodoxe.
Le président se leva à la fin des auditions. La salle en fit autant. Il n'y aurait pas de défense. Le petit homme de l'art lançait à tous des sourires obséquieux derrière ses lunettes à fines montures . Il opina du bonnet deux ou trois fois, comme pour dire : << Bravo messieurs ! quel bel ensemble, moi, je reste assis.>>. Il avait même sorti sa langue à deux ou trois brèves reprises, si je ne m'abuse. Une mimique s'apparentant aux réactions du débile, mais fortement entachée d'une profonde jouissance. Etait-il devenu masochiste ? La situation devenait inquiétante. La voix du doyen, toujours aussi agaçante, retentit : << Antibiotiques, médicaments chimiques, transfusions sanguines et vaccinations sont les armes radicales contre toutes les maladies. La nature est hostile, on ne peut lutter contre la fatalité que par parades agressives. En conséquence pour avoir contrevenu à.......>>. La phrase se brisa net ; un vacarme étourdissant venu de l'extérieur se propagea dans la salle dès que les portes s'ouvrirent, carrément enfoncées par une nuée de manifestants.
Toutes les robes noires se figèrent d'un même élan. La surprise et la crainte s'imprimèrent sur les visages. L'Assemblée comprit que l' ère de la délation, du règne des trusts s'achevaient à cet instant précis. Le blond petit accusé n'en finissait pas de frapper de plaisir sur les fesses de ses gardes.
Lorsque les gendarmes qui suivaient fort nombreux la foule, purent mettre la main sur tous les médecins acolytes, laissant liberté aux jabots gris, l'officier s'adressa aux nouveaux déchus: << Le peuple Français vient de mettre à bas le Scientisme, et la politique des profits, ceci dans tous les départements de l'Hexagone. Médecins, vous ne serez pas jugés, mais invités à abjurer le serment qui vous reliait aux hauts dignitaires de ce régime. Que ceux qui refusent ce reniement lèvent la main ! Mis à part les jabots gris tous, après maintes hésitations pointèrent leur doigt au-dessus de leur tête.
Ainsi dans tous les départements de France et de Navarre, les réfractaires refusant de renier la foi de leur secte qui leur avait tant apporté d'argent, revêtirent l'habit infamant rayé de jaune. Un bonnet, rond comme une boîte de camembert rayé de la même façon que l'habit, portait un seul chiffre : zéro. Des sabots de bois, chaussaient leurs pieds qui portaient des chaussettes tout aussi rayées. Un fort collier d'acier, enserrait la cheville, relié à une chaîne au bout de laquelle traînaient les armes de la confrérie déchue. Il s'agissait en effet d'un caducée de bronze qui tintait bizarrement à chaque pas.
Un coup de sifflet strident, lancé par le garde chiourme, nouvellement converti, et prêt à quitter les lieux, retentit. Les anciens perroquets s'agitèrent, et après avoir saisi leur lourde masse qu'ils mirent sur l'épaule, s'alignèrent. Un dernier coup de sifflet, les lança sur le chemin de la carrière. Les hommes claudiquaient dans le tintement des caducées et de la sombre mélopée, qu'entamèrent tous ensemble les bagnards. Dans la poussière du chemin, soulevée par la ferraille, se perdait dans le petit matin ce mélancolique refrain :<< On a beau dire, on a beau faire, contre Hippocrate y a rien à faire. Leurs arguments sont affûtés et nous toubibs ont est baisés. On voulait leur briser les genoux, maintenant on casse des cailloux ! >>.
Les bagnards ne restèrent pas longtemps sur les carrières. Celle de Rosans dans les Hautes-Alpes garda longtemps une certaine renommée. Jamais il n'y eut dans le monde du bagne, et de ce petit coin retiré autant de rénégats qui ne se cassèrent la jambe par maladresse ou de dépit.
L'affaire profita à tous. Les repentis sous la férule d'un excellent homéopathe d'Alès, je crois, lors de plusieurs recyclages, devinrent à leur tour d'incroyables faiseurs de miracles. Les derniers laboratoires à se convertir se pressaient à fabriquer de minuscules boules blanches. Ce n'était, certes pas des boules de naphtaline!
Il était temps. La France n’avait jamais été si mal en point. Il fallut que la raison, le bon sens, et la volonté s’alliassent pour remettre bon ordre dans l’équilibre tant moral que physique de chacun.
Aujourd’hui, il n’est pas rare que des hommes facilement centenaires, fassent la cour à de jeunes femmes de vingt ans leurs cadettes !
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.