Conte d’ un berger économiste, ou l’ aube d’ une économie nouvelle
Inutile d’ évoquer une date ou un lieu ; chacun comprendra que ce conte vraisemblable aurait pu se dérouler en n’ importe quelle période, en n’ importe quel lieu de France, de Bretagne ou de Navarre. Ce jour là, je rejoignis, dans son alpage celui qui devait me donner une magistrale leçon de bon sens.
Un petit chalet de bois minuscule abritait le berger. L’arrière de la construction donnait sur l’ enceinte qui protégeait les bêtes pendant la nuit. Sur le banc, prés de la porte, il m’ attendait. Couteau à la main, il coupait de fines tranches de pain qu’ il mariait au fromage de brebis avant de le placer avec élégance à la portée de sa forte mâchoire carrée.
Il se frotta les mains, fit voler les quelques miettes qui s’ éparpillaient sur son pantalon de velours, me tendit la main, en me souriant.
D’entrée, sans fioritures, il attaqua :
Il me regarda, fit une grimace de gêne qui contrastait avec son impressionnant gabarit. Il devait se rendre compte que sa première réflexion risquait de me mettre mal à l’ aise. Il s’ excusait à sa façon.
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« Vous avez toujours voulu le moderne, le rentable, vous vous êtes risqués à sortir des normes imposées par la nature. Aujourd’hui, vivant dans le virtuel, entourés de produits manufacturés, trop souvent inutiles ou superflus, à la merci d’ une insipide nourriture, vous acceptez que l’ on remplisse vos chèques à votre place, ne vous révoltant pas aux menaces de puces électroniques pour mieux vous asservir, jusqu’ à flirter avec des poupées gonflables. Une bergère au parfum des herbes de la montagne, les cheveux fous, la réplique facile, le corps, au moment opportun, lascif ne vous intéresse guère.
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Il passa sa main dans ses cheveux, puis enchaîna :
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L’économie, dont vous me rabattez les oreilles lorsque par hasard j’ écoute vos émissions radiophoniques, bien que cela puisse paraître paradoxal, est vieille, démodée, immorale. Ce n’ est d’ ailleurs pas un hasard. En effet depuis que l’ un d’ entre-vous à découvert le billet de banque et que son coquin de cousin a greffé l’ intérêt dessus (cet intérêt ne correspond à rien), vous avez été prisonnier d’ un système qui vous a toujours joué de sales tours. Les guerres, parlons des dernières ont été fomentées par votre gauche et par cet intérêt. Les divers trafics d’ esclaves, la vente d’ herbes psychotropes, le marché en règle générale a toujours eu des commis apatrides prêts à tout et toujours les mêmes. Ils ont même empoisonnés les Indiens avec leur rhum. L’ignorance des journalistes a été telle qu’ ils n’ ont pas hésité à dire que c’ était les Espagnols qui avait transmis la tuberculose aux naturels ! ! ! Pauvres cervelles, quel mauvais raisonnement ».
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Il sortit sa pipe, la bourra, me regarda, toujours avec un sourire d’ enfant désirant se faire pardonner, mais n’ en poursuivit pas moins son raisonnement. Ce corps musclé contrastait avec cette philosophie insolite, directe, étayée, modulée par la voix, douce, souple mais péremptoire.
L’économie, telle que je la vois est, du moins en théorie, beaucoup plus simple que celle apprise sur les banc de faculté. Tu comprends bien que les toubibs et les prêtres en leur temps avaient le monopole sur nous avec leur latin. Aujourd’hui les économistes gouvernementaux s’ emploient à leur ressembler. Ils cachent leur inaptitude sous des termes comme : ex-post, ex-ante, ou composant des graphiques me rappelant les hyperboles et paraboles d’ équations secondaires. Il n’ est plus question d' échanges ou de commerce mais davantage de spéculer sur le dos des besogneux.
Or, petit me dit-il, (il venait de soulever son immense carcasse en regardant un instant le ciel, son regard pénétra le mien et ses mains commencèrent à envelopper sa chose qu’ il voulait à tout prix me confier) c’ est tellement évident que personne n’ a osé s’ exprimer sur une technique d’ artiste aussi simple. L’économie, mon fils c’ est l’ art de répartir ce que nous produisons, cultivons, élevons. Il faut savoir que mieux elle est répartie, tout en sachant donner au meilleur la carotte qui fait avancer la bourrique, moins il y a de rancunes, de guerres ou de révolutions.
L’économie, c’ est la balance du pharmacien, il y faut doigté, rigueur, attention et humanisme pour qu’ elle soit toujours en équilibre. Ainsi, si cet art consiste à ne pas mourir de faim, voici de quelle manière s’ y prendre, tout en respectant à la fois les denrées ou les produits fabriqués tout autant que la monnaie.
Les produits se fanent, se déprécient avec le temps, non ? Donc l’ argent lié aux produits doit subir les mêmes outrages d’ accord ! L' intérêt n' a pas de raison d’ exister, la preuve !. Lorsque tu prêtes des patates par exemple, dont tu n’ as besoin ni pour ta consommation, ni pour les planter, il est plus intelligent de les prêter à un homme vaillant et décidé. Ainsi à la récolte suivante, produite par ce dernier, bénéficies-tu de pommes de terre de l’ année, alors que si tu ne les avais pas cédées elles auraient pu subir mille aléas, dont celui de la gent trotte-menu et du pourrissement ou flétrissure.
Il s’ arrêta, permit à mon cerveau de récupérer, puis enchaîna :
Si tu demandes à tous tes ingénieurs et techniciens de prestige de fabriquer le matériel nécessaire à assurer les multiples tâches de tous les jours de chacun, à condition que ces machines soient robustes et non polluantes, si tu mets tes éleveurs, agriculteurs, maraîchers, viticulteurs etc. en demeure de produire de la meilleure des façons, le tour est joué. Ainsi chacun est à l’ abri du besoin. Les millions de personnes non employées pourront prêter leur concours gratuitement. Gendarme, maçon, instituteur, médecin tous les services sont gratuits.
D’autre part tu transformes les banques et le trésor, il y en a bien dans tous les cantons, en organismes de recensement. L’une inventorie les besoins, l’ autre répertorie les moyens de production. On coordonne au sommet et le tour est joué. A l’ estimation de la production l’Etat souverain, donc créateur de monnaie, la prépare. Lors des rentrées des produits, il en fixe le prix et distribue l’ argent en fonction de toutes ces productions et des hommes. En théorie, plus d’ invendus, pas de gaspillage, plus de chômeurs, plus de sans domicile, plus de vrais retraités, plus personnes dans le malheur, dans l’ indigence, dans l’ oisiveté, l’ usure ou la spéculation ». Pour le détail dit-il, viens me voir une autre fois.
J’étais là bouche bée, les membres comme paralysés.
Il se leva, en prenant appui avec ses grosses mains puissantes et carrées sur ses genoux et modestement conclut :
Utopie ? sans doute, mais parfaitement réalisable si l’ homme avait un peu plus de respect pour lui-même et pour ses contemporains. Que ce conte puisse un jour devenir réalité.
Le fils de Diégo - DER.