LE PRESIDENT, LES CHATS ET LES SAGES
Compte-tenu du fait que les derniers présidents de la République ne furent que de lamentables perroquets blancs, lamentables à grimer la tragédie, médiocres comédiens, clowns grotesques, loin d’inspirer la désopilance, incapables de surcroît de sortir notre économie de l’ornière, le public — hélas trop souvent désabusé, désinformé par d’aussi piètres acteurs — d’instinct pourtant grégaire, finit par ne plus s’en laisser compter. Les Français, empoisonnés, paupérisés, asservis, décidèrent unanimement de confier, avant le début de son mandat, le nouvel élu entre les mains des sages parmi les sages, les représentants du peuple basque.
Cette année-là, il s’agit bien du vingt et unième siècle, ne me demandez pas de préciser davantage, la nouvelle Chambre sociale (Assemblée civile) — vous savez celle qui venait de remplacer nos vieux sénateurs, trop branlants dans leurs certitudes et leurs manières réactionnaires ! — La nouvelle Chambre, donc, composée d’élus de tous les corps de métiers, y compris comédiens et retraités, confiante dans les ordalies basques avait remis le pressenti, premier acteur politique de France, entre nos mains.
Dès qu’il fut reçu dans la meilleure chaumière, la demeure de l’illustre maire d’Irrouleguy, les représentants, dûment triés, célèbres par leur sagesse, l’appréhendèrent.
Ils le conduisirent, séance tenante, dans une ferme des environs. Là, ils lui confièrent, douze chats, 144 boîtes de foie de canards de première qualité conservée en frigo, 12 assiettes, enfin douze bouteilles d’un vin succulent et des provisions personnelles. Il resterait donc seul dans cette ferme clôturée à s’occuper de l’alimentation des félins, doux d’ordinaire. Les sages le quittèrent en lui promettant de revenir douze jours pétants, après, à la même heure.
Chose promise, chose due ; ils furent exacts au rendez-vous.
Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils revinrent sur les lieux ! Le temps était superbe, la ferme, rouge et blanche alliait ses couleurs au bleu de l’azur et à l’herbe verte des pâturages environnants.
Tout aurait été pour le mieux, si les sages ne s'étaient pas aperçus que les douze bouteilles alignées sur la table avaient été vidées de leur contenu. Sur cette dernière s’amoncelaient, plus de la moitié des boîtes de foie vidées de leur contenu. Dans la cour, s’éparpillaient le reste des boîtes. Une bagarre générale, provoquée par le manque de nourriture, avait décimé les protagonistes. Les chats portaient tous des traces encore fraîches des combats qu’ils s’étaient livrés. Quant au président, sont teint avait viré au jaune. Un médecin du groupe n’eut aucune peine à diagnostiquer une superbe hépatite. Les coudes repliés, appuyé sur le rebord de la fenêtre dans une position arrière, légèrement cambrée, il semblait étranger au spectacle dans une pose trop décontractée ; le visage faisant grise mine, l’air presque goguenard.
Le constat était sans appel.
L’homme avait failli à sa mission. Il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer ce qui s’était passé. Livré à lui-même, désorienté de subir un tel examen de passage, l’oisiveté aidant il s’était goinfré, à s’en faire péter la sous-ventrière, d’un met, indicible quant au goût, particulièrement indigeste au détriment des bêtes confiées à ses soins.
Le rapport fut établi sur le champ. La Chambre reçut ce dernier et dans les jours qui suivirent le Président fut destitué. Rapport d’ailleurs entériné par les députés qui semblaient filer doux devant la nouvelle Chambre puissante par un dynamisme intéressé, pétri de son bon sens.
Le rapport très succinct disait à peu près ceci :
« a reçu de nos mains tous les éléments qui lui auraient permis de vivre sereinement en compagnie de paisibles matous. A failli à sa tâche.
Son intempérance, son insouciance à l’égard des animaux, clairement dévoilées dans le cas présent, conduirait le peuple aux pires des choses dont la guerre civile. A exclure de ce poste».
La nouvelle Chambre en suivant fidèlement le verdict montrait qu’elle avait les pieds sur terre.
Une gamelle insuffisamment remplie suffit à provoquer les pires des conflits. Les pacifistes devraient en tenir compte. Plutôt que de clamer plus jamais de guerres faudrait-il convaincre nos économistes de donner à chacun la part qui lui revient grâce à une juste répartition. Ne sommes-nous pas dans une société d’abondance ?
N-B . N’allez surtout pas penser que les Basques soient des exaltés, des jusqu’au-boutiste, des extrémistes. Si quelques personnes de ce peuple ont défrayé la chronique que se cache-t-il derrière ces actions destructrices ?
Pour ma part, bien que je ne puisse approuver la violence, il me revient en mémoire la mort de Roland et d’Olivier à Ronceveaux. Si je n’avais pas été informé par mes grands-pères je pourrais rougir de la conduite des Basques qui infligèrent une sacrée correction aux arrière-gardes de Charlemagne. Or, si des centaines de mercenaires périrent dans ce défilé, moi, je ne me demande plus pourquoi. Ces soudards avaient violé nos aïeules et brûlé leurs maisons. Les Basques sont de sacrés défenseurs, pas des inconditionnels de la bagarre. Quant aux Basques espagnols et à leur violence, je me tais, car je ne me suis jamais penché sur ce problème politique bien particulier. L’étude, bien menée, devrait établir que les torts ne sont peut-être pas à rejeter entièrement sur ces quelques (en apparence) violents écervelés.
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.