Né fin 1939, j'ai pu apprécier avec ma famille, à la sortie de la guerre, mes papilles ont de la mémoire ! plusieurs valeurs sur le plan culinaire. Aujourd'hui le progrès a tout gâché. D'ailleurs, je vous le prouve d'une manière originale, lestée d'une certaine dérision.
D'abord, le foie gras, quel délice quelle finesse de goût ! Je considère aujourd'hui que je fus un beau salop de manger l'usine de nos canards, mais je crois que le Bon Dieu m'absoudra car je me suis repenti depuis; et puis là n'est pas le problème. Le foie était succulent, point final. Les anciens ajoutaient d'ailleurs, gravement, avec une pointe de malice bien camouflée, que le foie du canard bien que malade nous donnait une santé d'enfer!
Oui, l'eau de l'Adour, ce fleuve qui passe à Lourdes et qui permet grâce au silicium, contenu dans son eau, non seulement de guérir certains maux, mais également de drainer le foie et de le pousser, sans doute avec amitié, à digérer en volume et en poids plus que d'habitude. Voilà pourquoi, nos guits ne crevaient pas.
Mais ce n'est pas tout. Mon père, ce fut un héros, du moins pendant la résistance, puisqu'il porta un officier allemand, tué dans un attentat, dans la salle de prières d'un carmel, et confectionna avec les soeurs une chapelle ardente. Ils évitèrent alors des représailles sur la population.
Les Allemands nous ressemblent. Mon père et les sœurs avaient respecté le corps de l'officier; les "sales boches" respectèrent les civils. Comme quoi, s'ils furent odieux à certaines heures, il faut avoir l'intelligence de se demander pourquoi. Oeil et dent ne sont pas que dans la bouffe.
Mais là n'est pas le problème.
Mon père, ce héros, à la sortie de la guerre, mécanicien d'élite, dépanna un soir de mai 1949, la voiture du marquis de Lursaluce. Ce dernier, reconnaissant, offrit à mon père une caisse de château Yquem.
Quel régal mes aïeux! Son parfum défie le temps et la concurrence; surtout celle d'aujourd'hui où pas mal de vignerons suspendus aux lèvres des experts en viticulture leur recommandent l'ajout d'anhydride sulfureux.
Non seulement ces vapeurs du démon détruisent nos précieuses vitamines mais par la même occasion vous empêche de bien digèrer tout en vous laissant dans la bouche une saveur amère, franchement dégueulasse. Ne nous y trompons point il y a bien une part d'efficacité perverse dans cet acte hors nature mais la fainéantise qui caractérise le genre humain semble être la raison majeure.
En effet il est plus facile de verser, dans ce nectar des Dieux, ce produit chimique pour l'empêcher de "virer" que d'entretenir les tonneaux de chêne avec amour et faire brûler à l'intérieur une mèche soufrée. Viste heyt, mal heyt! Vite fait, mal fait!
Quant aux fruits messeigneurs, quelle classe ! Fruités, odorants, craquants ou juteux, souvent les deux à la fois! Vous n'aviez pas d'asticots à l'intérieur, pas plus que des tavelures ou des signes de parasitisme.
Mais, à ce sujet, ma grand-mère qui avait une vigne et des cerisiers détenait un secret. Figurez-vous qu'elle laissait ses poules déambuler sur ce périmètre pourtant sacré. Leurs cagous, leurs fientes si vous préférez, amendaient la terre, la fumaient dans les règles.
Ainsi, ne mettait-elle jamais d'engrais de synthèse mais qui plus est, ces gloutons de gallinacés, avec minutie, courage et entêtement débarrassaient-elles cet Eden de toutes les petites bestioles qui auraient pu nuire au sol et aux arbres. Lucie, tel était le prénom de mon aïeule, se savait rude à la tâche.
Elle en remontrait à notre jardinier qui venait pour les travaux les plus durs qui finissaient dans la mollesse; sans mal d'ailleurs, puisque notre ouvrier fonctionnait au gros rouge.
Fine garce, elle avait adopté la tactique suivante afin de calmer les vapeurs du pinard qui entravaient bougrement les actions de son subordonné. Elle mettait dans la bouteille 3/4 de vin et un bon I/4 d'eau, ce qui pourrait faire 5/4 pour les non-férus en arithmétique.
Cette opération retardait notablement la torpeur qui assaillaient celui qu'elle nommait "gant de crin", tant sa paluche était rude et cornée. Ceci n'ayant que peu à voir avec nos valeurs disparues, il me paraît bon de conclure que si nos grands-mères étaient encore de ce monde, tous les voyous qui fabriquent des produits chimiques seraient, à l'heure qu'il est, entrain de faire la manche devant toutes les cathédrales de nos villes françaises.
L'obole des croyants n'aurait, certes pas été cette monnaie de singe que l'on appelle l'euro.
Quant aux enfants de nos villes et de nos campagnes, ils continueraient à mordre à belles dents dans les fruits défendus. Ils préfèrent dans le contexte actuel, je ne leur donne pas tout à fait tort, tellement c’est sucré et trompe-couillon, un produit tout aussi lamentable l'abominable Coca-Cola.
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.