De la solitude à la foultitude en altitude...
Le chemin qui mène au col ne manquait ni de pittoresque ni d’imprévus.
Par les quatre saisons, loin d’être aussi marquées que de par le passé, le cheminement par cette route forestière conduisant aux sources qui alimentaient la bourgade pouvait réserver de multiples surprises.
Au printemps, par exemple, il n’était pas exceptionnel d’être témoin, d’ébats amoureux, à découvert, entre deux couleuvres. De même, en pareille saison, venaient se désaltérer quelques chamois qui n’auraient jamais dû déserter les sommets. L’attrait conjoint d’une jeune herbe, délicate, tendre, odorante, non souillée et d’eau fortement oxygénée, fraîche et chantante, devait combler l’intrus. Ils croisaient donc le blond chemin caillouteux et regagnaient les hauteurs.
Durant cette période, haute en couleurs, les plantes égayaient le chemin. Les renoncules, les sauges, souvent seules à l’emplacement, nombreuses à la montée, mariaient l’or de leurs boutons avec le bleu particulier de leur voisine. Les multiples capuchons de ces dernières ressemblaient aux coiffes des fous des rois. Le lin fleurissait par endroit, tandis que les genêts très nombreux se paraient de multiples soleils, éclairant pendant plusieurs jours les pentes du vallon. Coquelicots et bleuets, rarissimes cependant, faisaient parti du spectacle. La saponaire de Montpellier — petite plante très ras du sol, dont les nombreuses fleurs d’un magenta très pâle s’étalaient par plaques — augmentait pour le promeneur cette naturelle féerie. Enfin le clou de cet embrasement enchanteur était apporté par les cytisiers. Une fine décoration en grappes, ainsi que des guirlandes, constituées de milliers de fleurs en forme de fèves cambrées. Les quelques dizaines d’amandiers sur les flancs de la montée, lorsque la floraison s’était produite, bien avant leurs « congénères » avaient permis de donner un avant-goût de la coloration de l’endroit.
En été, par une température étouffante, il n’était pas rare de voir évoluer le circaète, terreur des reptiles. L’envergure de l’aigle des serpents en synergie avec les orbes décrites laissaient à l’observateur un souvenir impérissable. Sa puissance majestueuse et son habileté à planer portaient pour le moins au respect.
Durant cette saison pénible aux heures les plus chaudes, les couleurs, empreintes essentiellement de verts et de bleus dans toutes les nuances, laissaient la place aux blonds que vous auriez peine à qualifier avec précision. Le matin, par contre à l’heure où l’astre s’emploie à dépasser les montagnes environnantes, au moment où une légère brise ascendante remonte le vallon, il était loisible à chaque esprit observateur de regarder les mouvements ondulés de cette longue chevelure représentée par une herbe champêtre qui n’en finissait pas d’aller vers une maturité qu’affectionnaient les deux splendides juments cantonnées, pendant les heures les plus chaudes, dans un abri à claire-voie empêchant en partie l’entrée aux mouches et aux taons.
Lors des douces premières soirées d’automne, au moment où le grain des rares pieds de vigne se gorge de sucre, maître blaireau arpentait ce même chemin pour aller goûter avec empressement les délicates sphères, chères à nos viticulteurs. La pluie refaisait timidement son apparition. L’herbe, bien que se faisant prier, redonnait force, jeunesse et verdeur à sa progéniture. Les chardons n'en continuaient pas moins leur évolution dans des tremblements continuels occasionnés par les chardonnerets qui guettaient l’instant où ils pourraient se délecter des graines de cette plante coriace qu’affectionnaient chèvres et chevaux.
A l’entrée de l’hiver, alors que les chênes abandonnent avec difficultés leur feuilles, les intrusions des chasseurs animaient le site. De fortes exhortations s’élevaient sur les flancs des barres rocheuses. Les chiens stimulés y répondaient avant que plusieurs coups de fusils n’annoncent le dénouement.
Il n’était pas rare, alors même que l’on s’approchait des fêtes de fin d’année, de constater que nos chênes, robustes et obstinés, rebelles à abandonner leur feuillage, coquets de surcroît, semblaient prêts à faire machine arrière afin de retrouver leur verte toison. Cette dernière — à la manière d’augustes vieillards dont les cheveux fournis et brillants, pourtant blancs, ennoblissaient la tête — gardait chacune de ses feuilles sans un pli, sans que l’une d’entre-elles ait songé un instant à se recroqueviller. Le beige parcheminé ne pouvait laisser de doute ; mais de loin les arbres semblaient garder une éternelle vitalité.
Lorsque le froid, avec détermination, pétrifiait le paysage, l’humidité aidant, il se déposait sur buissons, arbres et arbustes de fines guirlandes de frimas. On aurait pu croire que la nature, obligée de respecter les saisons, avait honte de ses actions. S’évertuait-elle alors de minimiser les conséquences de sa rigueur en redonnant aux branches une immaculée couverture.
Durant les quatre saisons rares étaient les promeneurs. De temps à autres des cavaliers parcouraient ce vaste domaine, l’été principalement. Des motards quelquefois empoisonnaient l’atmosphère mais il semblait que l’endroit ne plaisait guère bien que les habitants de la petite localité aimassent que l’on parle de leur humble chapelle, hélas vidée à l’intérieur. Chapelle avec son clocheton qui n’en finissait pas de pleurer son vieil ermite. Il y avait eu à quelques mètres de cette construction religieuse un petit ermitage qui, foi de sourcier et de bâtisseur, recelait à la fois, sous l’amoncellement des pierres une source et une cave fraîche. Mais qui aurait eu le courage de le confirmer ? Sur cette ancienne parcelle — lieu de vie monacale, où le frugal, côté alimentaire, se liait solidement au recueillement, à la réflexion et aux gestes simples de chaque jour — on avait construit un hangar composé de piliers de bois reliés par des planches de sapin. Lors des fondations, le bâtisseur avait bien remarqué qu’à certains endroits la barre à mine, à partir d’une certaine profondeur, s’enfonçait, plus que de raison et glissait des mains de l’artisan. La conclusion était alors simple à formuler. La cave existait bien. Elle gardait son secret et peut-être le squelette de l’ermite.
La partie poétique terminée, la nouvelle, le conte plus précisément reprend ses droits au moment précis où l’économie marchande sans limite, n’ayant pour unique but que de maximiser les profits et non de satisfaire les besoins essentiels, ne répondait qu’aux besoins solvables. Le « bonheur » du supermarché comme ersatz convenait à la plupart dans une vie désormais sans but. Qui mange mal, pense mal, meurt prématurément disaient les derniers bons médecins. La coupe fut bientôt pleine. Le genre humain dégénérait à un tel point que, les femmes perdaient leurs atouts, leur charme et se dépréciaient d’autant plus que la technique évoluait. Les hommes, ventripotents pour la plupart, n’avaient d’yeux que pour les déesses mécaniques : les automobiles. A ce train là, la planète allait se vider rapidement du genre humain.
Puis, brusquement et d’une manière continue la nature, comme un cheval indompté se cabra. Depuis trop longtemps maltraitée, la terre épuisée parce que mal nourrie, empoisonnée par des intrants chimiques, déséquilibrée par les boues de décantation que déversaient les employés municipaux, sur les champs d’agriculteurs sur ordre des maires, agonisait. Les terres ainsi violées ne rendirent aux exploitants que la monnaie qu’ils méritaient. Une herbe et une seule poussait là où avait été semé, céréales, plantes maraîchères, et potagères. Les seules terres indemnes de produits toxiques, nourries au compost naturel continuaient à produire les légumes et fruits variés, comme si de rien n’était. Elles étaient rares.
La ferme de Saumane , avait conservé une culture traditionnelle. Le patrimoine était encore intact. Depuis l’extérieur de la ferme on pouvait renifler les effluves qui se dégageaient des viandes, céréales et légumes lorsque ceux-ci cuisaient en harmonie sous la main experte de la maîtresse de maison. Ces odeurs attiraient, permettaient à l’eau de venir à la bouche. La saveur des mets, les fragrances diverses dégagées par les noirs « toupins » aux reflets intérieurs cuivrés, étaient telles, et si prisées, que le bouche à oreille permit à ce bout de terre d’acquérir une réputation justifiée. Qui aurait refusé de se délecter et jouir de divine manière lorsque se consommerait prés de la table bénie l’agneau de Savournon, aromatisé au thym sauvage de Saumane, à l’endroit où une main secrète dispensait à la plante les senteurs les plus extraordinaires. Une sorte de trait d’union entre le ciel et la nature, Dieu et les hommes, la viande et les haricots verts.
A l’heure où les plantes — dégoûtées de la maltraitance imposée par l’homme à la terre —, avaient gagné en insipidité, l’humeur des citoyens avait perdu de son insolence. Le contraste devenait tel qu’une réunion du conseil municipal se tint très rapidement. Le curé, même, fut convoqué. Après de longues délibérations il fut décidé que désormais, chacun honorerait les simples qui avaient permis que le goût restât maître dans la vie quotidienne de chacun.
Ainsi, chaque premier mai, à la tombée de la nuit, une procession phénoménale, avec en tête l’évêque du diocèse, partait de l’église de la bourgade et lentement— délimitée par la lueur des cierges que tenait chaque repentant, — entreprenait la rude ascension du chemin menant à la ferme de Saumane. La foule, dépassait la chapelle, puis parvenait à la ferme. Elle envahissait l’emplacement situé sous les cuisines. Alors, comme par miracle la maison s’éclairait. Une porte grinçait, des bruits de pas retentissaient puis, sorti de l’ombre du figuier apparaissait le propriétaire exploitant qui rejoignait la foultitude un poireau énorme dans les mains. Le silence était impressionnant. Le symbole du goût conservé, le poireau élégamment emmitouflé passait des mains calleuses de l’agriculteur dans les mains diaphane de l’ecclésiastique. Ce dernier remettait en signe d’allégeance une bourse garnie au maître de ce petit paradis. Les têtes se courbaient en signe de respect et de repenti.
La ferme ne serait plus aussi seule. Chacun se promettait de revenir le lendemain et tâcher d’obtenir les légumes nécessaires à préparer les soupes d’antan. Le retour sur ces lieux s’effectuant désormais pédibus jambus. La route ne permettant pas que les véhicules se croisent. Il fallait de toute façon réapprendre à vivre et prendre son temps. D’ailleurs, depuis, il est conseillé à ceux qui désirent vivre longtemps d’envoyer un Serrois chercher la mort. Elle n’est pas prête de venir les rejoindre.
Diégo -DER
De la solitude à la foultitude
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Dernière mise à jour le : 05 avril 2010
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