Nous avions mordu, une lichette, sur le troisième millénaire. Les journaux, les périodiques, hebdomadaires et mensuels proliféraient à un tel point qu'ils envahissaient les magasins de presse au point de coller la danse de St-Gui à leurs propriétaires qui passaient leur temps à classer, ranger, déranger et renvoyer à l'expéditeur ces innombrables revues souvent inutiles, remplies de niaiseries, bobards de toute sorte. Le travail était tel qu'ils en oubliaient leurs devoirs conjugaux. Inutile d'ajouter que la plupart étaient célibataires ou divorcés. Les femmes de ce temps là appréhendaient bougrement la cellulose, le papier si vous préférez. Il était notoire que l'information se dénaturait à la base, soit par les Agences de presse, soit par l'opération du Saint-Esprit. Les journalistes déstabilisés, ne pouvaient de ce fait que narrer les volontés de ces derniers. Violentée, dénudée, opérée, elle empêchait l'explication rigoureuse, à laquelle aurait pu tenir tout citoyen de bon sens. Aucun problème ne pouvait se régler et chacun de tourner irrémédiablement en rond. L'Histoire même qui devrait se rapprocher au mieux de la réalité avait été conquise, asservie, puis malmenée par de vulgaires maquignons la dirigeant au scion. Le résultat ne tarda pas à se manifester. Les animaux crevèrent en grand nombre, les aliments devinrent insipides ; les hommes s'effondraient à la moindre contrariété ; les femmes perdaient leur éclat, leur splendeur, leur féminité. Seules les grandes Compagnies n'en finissaient pas de se frotter les mains et de se remplir les poches. Il n'en demeurait pas moins évident que ces rares favorisés passaient l'arme à gauche tout aussi rapidement que les autres. Un seul critère les différenciaient du commun des mourants : leur cercueil se fabriquait dans le meilleur de nos derniers noyers français. La grande classe, comme de par le passé, mais seulement pour passer l'arme à gauche Pourtant un gazetier plus entreprenant et curieux que les autres, Paul Poinglié, à la solde de la revue fort connue, « Expression et Liberté Conditionnée », se résolut à entreprendre une tournée en France profonde et à traquer l'information bien avant les Agences de presse. Lors de l'énième plaie, dite égyptienne, qui secoua le monde agricole, il fut au première loge. Le manège durait d'ailleurs depuis bien des lustres. Il s'aperçut alors qu'une ribambelle de fonctionnaires autorisés, largement rétribués, sous l'emprise d'une folie profiteuse, débitaient de telles billevesées que les paysans, tels des perroquets récitaient et appliquaient ces méthodes absurdes qui n'en finissaient pas de les rendre tributaires et asservis aux marchands monopolistes. On leur avait appris à produire en quantité, au mépris d'un blé qui se couchait au moindre souffle de vent. On leur avait indiqué de quelle manière élever « hors-sol », à ne plus savoir où coller du sparadrap, tant leurs vaches s'en allaient en « biberine ». Ils avaient même tant pollué leurs cultures, que la nature leur rendait bien, le mal qu'ils lui prodiguaient. Une petite toux grasse les prenait la nuit, les laissant exsangues, à l'aube naissante. Se rendant compte du contexte, Paul, lors de l'une de ses étapes, se permit une étrange rencontre un soir, alors qu'il venait toute la journée de fréquenter la désolation. Quittant en catimini le petit hôtel où il venait d'élire domicile, il partit en petite foulée vers la chapelle sise à très peu de distance. Dès la porte poussée, Dieu le prit par l'épaule. Il l'entraîna vers le transept, à l'endroit où les vibrations ont tout lieu de donner le maximum de bon sens à tout être humain. Il lui tint à peu près ce langage. _ « Tu t'es sans doute rendu compte des errements de tout ce peuple qui ergote sur le secondaire, qui pinaille sur la vétille, enfantant la bêtise, voire même plus grave : la stricte connerie. Tu es le jouet, comme eux, de ces mirages dont l'homme vénal est l'auteur. Vous courrez tous, sans exception vers le profit. Eux, vers un nombre toujours croissant d' animaux, toi vers des papiers sortant de l'ordinaire, alors que tu n'as surtout pas le droit de transgresser la morale journalistique liée à l'intérêt. C'est un cercle vicieux dont vous ne pourrez sortir. ». _ Paul osa regarder le créateur. Il n'avait pas une forme humaine, mais il lançait des éclairs et parlait oh prodige ! Français. Nos amis les juifs n'avaient pas le monopole de courtiser l'éternel. Le journaliste ne savait plus à quel saint se vouer. Il se faisait si petit, que chacun l'aurait pris en pitié. Ses bras s'élevaient au-dessus de sa tête, il avait peur d'être battu. Le grand bâtisseur à la longue patience se plaça face à son interlocuteur qui n'en finissait pas de faire grise mine. Cette voix ineffable reprit : - « Tu dois savoir Paul, très exactement ce que sont devenus les humains, ce qu'ils représentent véritablement à mes yeux. Tu te rendras compte qu'il y a trois groupes distincts. Mais je ne t'en dis pas davantage. Tes yeux demain, s'émerveilleront de ce que tu n'avais pu découvrir la veille. Sache mettre à l'avenir ton regard à la hauteur de ton ressenti et de ton raisonnement. Il n'y a plus de place pour la canaille sur cette terre. L'entretien était terminé. Seule la clochette de la chapelle tinta à la sortie du pauvre gribouille. Le lendemain, après une assez mauvaise nuit, Paul plia ses affaires, fit un brin de toilette et en descendant dans la grande salle qui servait de restaurant. Il fut surpris de ne pas rencontrer l'hôtesse ou le marmiton. Un silence inhabituel s'était installé comme définitif. S'agissait-il d'une fin du monde originale ? Il ouvrit la porte et face à lui devant la mairie, un spectacle qu'il n'aurait jamais imaginé s'offrait à son regard. Une rangée impressionnante de volatiles africains, de splendides autruches en chair et en plumes, plongeaient avec énergie, jusqu'à la gorge leur tête dans le sable. On ne voyait que leur derrière haut-pité, tandis qu'une petite troupe de diablotins, nus comme vers, s'escrimaient à leur enfoncer à l'endroit le plus charnu de leur corps de volatile, un suppositoire, symbolisant sans doute le culte de la pensée unique inspiré par l'Ecu. Pourtant sur le toit de la mairie de douces colombes, semblaient se moquer de cette triste cérémonie. Il était le seul humain, qui demain dans la presse « Expression, Liberté conditionnée » aurait l'avantage de circonstancier de tels faits. Qui donc aurait la possibilité de lire ce conte à dormir debout, puisque les humains venaient comme par enchantement de disparaître de la circulation ? Diégo-Der (Conte d'Outre-Tombe)
Le Journaliste, les autruches et le Bon Dieu
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Dernière mise à jour le : 4 avril 2010