CONTE DU CITADIN ET DE LA FOURMI
OU COMMENT VIRER DES IMMIGRANTS EN INFESTANT LE VOISINAGE.
INTRODUCTION
Nous étions au cœur de Paris dans le premier arrondissement. Un immeuble cossu — de six étages, pierres meulières fin XIX siècle, décoration peaufinée des ouvertures, un immeuble qui semblait s' étirer avec une prétention dûment méritée — allait entrer en beauté dans la légende.
Lorsqu'on portait le regard sur l' ensemble nul, en toute conscience, ne pouvait nier la classe du créateur. Au plus haut de l' édifice, plusieurs fenêtres identiques — mansardées, agrémentaient l' endroit où maçonnerie et charpente s' imbriquent; s' enchâssaient dans la pierre bâtie disposée en doux dégradés. Les chiens assis entouraient ces ouvertures dans une sorte de tendresse maço - platonique tandis que, de part et d'autre des chiens, un revêtement d'ardoises imposait un harmonieux contraste, avec la pierre, doublé d' une protection ne le cédant en rien à la symbiose architecturale mariant pierres et bois.
Premier et unique acte
Scène 1 " Le décor du Conte "
Au troisième étage, dans un appartement immense, logeait une haute personnalité. La cinquantaine bien sonnée elle fréquentait Bercy, recevant ronds de jambe et marques de respect réservées aux dignitaires.
Cet homme — jeune d' allure sans doute sorti naguère de l'Ecole Normale d'Administration seul depuis belles lurettes — vouait à sa profession fort bien rémunérée un amour sans bornes
On le disait Conseiller Général Economique. Il suggérait, proposait, parfois même imposait, au Ministre des finances son théorique supérieur, la conduite à tenir en n' importe quelle situation. Rien ne l' effrayait, il savait rester calme et à la hauteur de toute contexte quelle que fut ce dernier. Certains soufflaient même que ses relations s' étendissent jusqu' à la plus haute hiérarchie banquière ! Les preuves étaient loin d'être fournies. Cependant, ses fréquentations, son train de vie, laissaient supposer qu'il vivait dans la peau d' un sacré personnage.
Cet amour professionnel, caractérisé par une conscience de travail sans faille, ne pouvait pourtant pas rivaliser avec une autre passion très personnelle.
Ce n' était pas une maîtresse, ce ne pouvait être des vices de jeux ou de débouche. Curieusement — alors qu'il se trouvait très souvent à l' extérieur sans comptabiliser son emploi du temps hors de France — cet homme que l' on aurait pu croire mondain profitait du hors temps ministériel pour entretenir une étroite relation avec son appartement, plus précisément son curieux laboratoire.
S'il eût été possible de le voir évoluer sur ses mètres carrés résidentiels les soirs où la lune est pleine et les rideaux ouverts, un immense étonnement aurait empreint le visage du spectateur.
Dés son arrivée, il ôtait gabardine, complet et cravate pour enfiler un vieux pantalon et afin de protéger sa chemise il s' affublait d' un tablier de cuisinier à l' origine d' une blancheur immaculée…. Alors, sortaient des placards, étagères et tiroirs tous les ustensiles et ingrédients nécessaires à cuisiner et pâtisser.
Un véritable laborantin ….Maître des fourneaux et des pâtes !
Une seule ombre au tableau de cette folle passion. Il n' aimait guère passer son temps à tout remettre en ordre. Heureusement une vieille servante qui avait déjà officié auprès des parents de l'énarque, remplissait le rôle de " récureuse " mais également — elle était pour le moins bien en chair — celui de dégustatrice. L'énarque savourait l'enfant chéri de ses recettes. Elle, à la fin de ces périodes de rangement et nettoyage, s'octroyait le reliquat de la cuisine et des mets sucrés. Le résultat tenait du miracle. Elle ne se prénommait pas Marie bien qu'elle soit restée vierge; son ventre, lui, ne pouvait en dire autant. Comprend qui pourra !
Tout était donc pour le mieux. Encore que, et ceci à une importance capitale pour la suite, elle n'était présente dans l'appartement que deux fois par semaine. En supposant que ce" maître queux " cuisine le Lundi soir et qu'il parte à l'étranger le mardi matin, la servant ne venant que le mercredi, imaginez le capharnaüm et les odeurs dans le laboratoire pendant 2 jours ! Il y avait bien l'extracteur électrique mais l'empreinte des effluves demeurait trop longtemps, bric à brac compris.
Un matin de printemps, Maître Lazare, nous le dénommerons de la sorte — serions-nous si loin de la vérité ! — costumé, cravaté avec soins, à l'instant de quitter son appartement et sa chère cuisine jeta un œil attentif sur son laboratoire.
Il y régnait un désordre indescriptible. Il ne se décontenança point. L'assistante y mettrait bon ordre et moult coups de langue et dents dès le mercredi matin. Il se réjouissait des talents de son indicible complice aux généreuses proportions physiques. Il s'en frotta de joie les mains, pria quelques secondes afin que le grand bâtisseur la maintienne en vie le plus longtemps possible. Il ne souhaitait pas que se brise ce cycle tellement bien établi. Soudain, ses yeux se portèrent sur le mur. Ses pensées s'évanouirent.
Un long ruban noir, fiévreux, animé d'un imperceptible mouvement ondulatoire, ainsi que dans une procession mais à sens alterné, s'évertuait à reconnaître la route du " chemin des délices " et non du Golgotha. De minuscules fourmis clandestines envahissaient la place sans autre forme de procès.
Saisi de dégoût, l'envie de détruire au cœur il battit en retraite. L'heure était au rendez-vous. L'exactitude étant l'une de ses politesses, il ne pouvait que lâcher prise..
En dévalant les escaliers, il n'aimait pas prendre l'ascenseur, il pensait que la chance, paradoxalement, le servait. Il rencontrait, ce matin là, un gros patron de laboratoire pharmaceutique. Il troquerait une partie de son savoir de financier, contre des conseils formicides ".
En effet, ce qu'il imaginait quelques minutes avant l'entretien se vérifia lors de la rencontre. Ce patron d'industrie ayant reçu de monsieur Lazare l'art et la manière de résoudre son problème financier prodigua des conseils éclairés en matière de destruction.
- << Maître, suggéra le biochimiste, qu'importe leur détermination, leur volonté farouche à s'approprier un appartement en plein Paris; rien ne résistera au " Réta – Mambloc ". Vous pulvérisez ce produit sur la surface investie et vous n'aurez plus ces sales insectes dans vos murs !>>.
Son art consommé d'une destruction sans état d'âme, de la même manière que l'on supprime le chiendent à quelques pouces de végétaux consommables, était en relation directe avec l'obtention du résultat.
Le conseil était avisé et péremptoire. Le financier, pourtant fort instruit et largement diplômé, avait abandonné son bon sens.
Devenu expert en matière de profits et de cuisine, il se souciait peu du fait que l'argent n'est qu'un moyen d'échange afin que la production s'écoule. Qu'importait que sévissent par la suite l'inflation et l'accroissement de la dette publique. Point de sens pratique, sa musette était vide.
Pourtant la grande presse avait largement diffusé que le bon sens se rencontrait au Crédit Agricole ! Monsieur devait être, durant cette période " suggestionnelle " en vacances ou en affaires. Sachant cela, il ne lui serait pas arrivé cette mésaventure que nous ne pouvons que vous narrer.
Scène 2 - La force de la chimie
Il n'oublia pas, avant de rentrer chez lui, de passer chez l'apothicaire. Ce dernier l'envoya chez un ami vétérinaire car le " Rétam – Mambloc " devait être remis sur ordonnance.
Nanti de ce produit révolutionnaire et très efficace, pourtant très dangereux, il regagna son logis. Dès qu'il eut mis son tablier de travail, il enfila des gants de caoutchouc. Les fourmis continuaient leur procession. Pas de semaine de 35 h chez-elles. Elles bossaient jour et nuit infatigablement. Avec assurance, il projeta par vaporisation son produit sur le long serpent noir, depuis sa table de travail jusqu'au mur.
- << Ah les salopes elles tapent du cul s'écria– t - il, indigné, dans un langage inhabituel >>.
Il fit une moue significative en se frottant de jouissance les mains et psalmodia :
- << A baisé, baisées et demi >>.
Il oublia les emprunteuses, certain du résultat, termina quelques mises à jour, peaufina ses prochaines missions et partit au lit assez tard..
Le lendemain, dès les 7 heures, il se précipita à la cuisine, non seulement pour préparer sa tisane de thym et ses tartines au beurre, mais surtout pour observer les effets du produit.
La place avait été abandonnée, les fourmis, le long de leur circuit, se comptaient par milliers, immobiles, les pattes en l'air. Rassuré, pleinement satisfait, il partit bon pied, bon œil ce matin là. Tout semblait lui sourire.
La journée se passa rapidement et sans problème majeur. Il modifia considérablement l 'action des services de répression à l'encontre de malheureux grossistes vendant des produits naturels. Magnanime, il ne pouvait que l'être : la chimie triomphait, en apparence seulement ! Les tracasseries fiscales ne paraissaient plus de mise.
A son retour au doux logis une surprise de taille l'attendait. Les fourmis contre - attaquaient. Elles n'empruntaient plus une route directe. Pour atteindre Paris elles passaient par le pôle. Les salopes, les ennemies du peuple — ne s'accommodant ni de pourparlers, ni de référendum —comme il les qualifiait, envahissaient le laboratoire par un autre chemin.
Il recommença, rouge de colère, à les sulfater copieusement. Cet épisode se déroula plusieurs fois. A chaque fois le même scénario se produisit. Le produit supprimait les intruses mais ne contaminait pas la colonie. Il n'empêchait en rien ces voyageuses du diable à réinvestir, à chaque fois, les lieux de plus belle.
Il ne pouvait plus agir de la sorte, le problème devait être résolu d'une autre manière. Il regretta quelques instants ses actes de mansuétude à l'égard des laboratoires marginaux, mais se reprit en pensant que le dernier recours possible, afin de régler cette immigration inacceptable, se situait dans le périmètre d'un quarteron d'irréductibles respectueux de la nature.
L'occasion de les contacter survint inopinément. Le sieur Virailleurs — se colletait depuis plusieurs lustres avec le fisc sur des dossiers comptables, soi-disant obscurs — vint lui rendre visite. Ses affaires prospéraient mais l'administration, qui ne supportait pas le manque de valeur ajoutée à ses produits renommés, ne lui laissait aucun répit.
Fatigué de tous ces tracas nullement justifiés il venait protester auprès du diplomate fiscal qui restait tout autant un maître inquisiteur.
Sa cause fut entendue et l'on parvint à un accord.. Le départ des fourmis et la fin de ses ennuis avec l'administration..
Scène 3 - La nature reprend ses droits : Scénario
Le surlendemain Virailleurs était à pied d'œuvre au quatrième étage dans l'immense appartement du fonctionnaire.
Il examina en présence de ce dernier les lieux, prit des notes, dessina le plan des pièces y incluant le balcon qui devenait l'endroit providentiel pour stopper l'invasion. Son matériel fut amené rapidement sur place. Il était composé d'une balancelle, type épuisette à écrevisses, attachée à une longue ficelle. A l'intérieur du piège un plateau de balance en cuivre. Sur ce plateau un produit de sa fabrication, gras, visqueux, collant qui ne pouvait être, ne versons pas dans le mystère, que du miel dynamisé. Il se garda d'entrer dans les détails.
En compagnie du propriétaire, aux alentours des neuf heures sur le balcon, se pencha pour descendre avec maintes précautions, et subrepticement, son panier écrevisses lesté du plateau rempli de miel. A l'aide de la ficelle il dirigea l'ensemble au milieu des plantes et des fleurs du voisin du dessous. Dès que tout fut positionné, d'un geste sec, la ficelle se désarrima de l'anse métallique. Il la roula, la mit dans sa poche, ricana en sourdine et fit comprendre au propriétaire que la patience était avant tout primordiale.
Le lendemain, en effet, les fourmis avaient changé de domicile. Elles occupaient désormais l'appartement du dessous. Ce sacré bonhomme avait eu soin de laisser tomber, à la perpendiculaire du mur qui supportait le balcon, quelques gouttes du nectar naturel. On ne pouvait le nier, les fourmis avaient un flair de chien de chasse !
Le cuisinier autodidacte pourrait désormais vivre et cuisiner en toute quiétude bien que le ménage se fasse dans l'heure. Le seul problème qui demeura fut que les ennuis venaient de se déplacer. Le colonel du dessous subissait les assauts continus des gourmandes visiteuses.
Les opérations naturelles se reproduisirent jusqu'à ce que l'on ait atteint le rez - de – chaussée. Les propriétaires s'avertissaient, la victime prévenait l'homme de l'art qui se faisait un malin plaisir de recommencer les mêmes opérations, étage par étage.
Au rez - de - chaussée la tactique changea. Plus de plateau à écrevisse. Une simple seringue à lavement, en cuivre, datant de Molière et notre tacticien répandait le produit sur le sol l'amenant jusque dans la rue.
Le tour était joué, la cause entendue.
Sans produit du diable, en réfléchissant sur les mœurs de ces entêtées bestioles, l'entomologiste autodidacte venait d 'arrondir son pécule et donnait par la même occasion une leçon magistrale à tous ces empétardés d'intellectuels qui n' ont toujours été que de parfaits psittacistes, d'excellents perroquets blancs.
Un quidam, bien que plagiaire prolongea le système " Les bêtes ça bouffe, donc orientons leurs repas " en soufflant aux agriculteurs et éleveurs la tactique suivante : Les renards croquent vos poules, les loups dévorent vos brebis ? Remédiez à la chose, en ne répandant plus de produits chimiques sur vos champs. Ainsi, renards et loups dont les repas naturels sont constitués, en grande partie, de rats, campagnols et mulots verront avec bonheur voir le nombre de ces rongeurs augmenter. Quand au parasitisme n'ayez crainte, utiliser vos fumure compostées, la magnésie en quantité généreuse et le parasitisme disparaîtra. Les bestioles diverses n'aiment guère les plantes qui se défendent. Ce fut la chute des ventes de potasse. Les loups et les renards firent alors bon ménage avec l'homme des champs.
DIEGO DER;
Le citadin et la fourmi
Le site :
Accueil | Notre charte | Sommaire général | Livres | Liens | Forum | Contactez-nous | Plan du site
Pour toute question ou problème concernant ce site Web, envoyez un courrier électronique à Jacques Daudon. © 2005
Dernière mise à jour le : 04 avril 2010