" LA FAILLITE DE LA FISCALITE FRANCAISE "
Depuis 25 ans le monde politique a parlé de réformer notre fiscalité sans qu'un seul projet ait été proposé. Depuis cinq ans plus personne n'en parle car toute volonté a échoué devant l'énormité de la masse des textes à analyser et à réformer. Un spécialiste, Jean-Pierre Cardot, en a donné les chiffres suivants pour le seul impôt sur le revenu au cours d'une interview publiée par France - Soir le 12 Février 1999 :
" il existe 691 textes se rapportant au seul impôt sur le revenu dont 310 ne sont pas directement accessibles au public puisqu'ils servent de base à l'administration des impôts. Cela représente 200.000 pages environ : Livre des procédures fiscales, Code général des impôts sans oublier les 30.000 derniers arrêts de la Cour de Cassation, ceux du Conseil d'Etat, les publications des Bulletins Officiels des Impôts, les traités de l'Union Européenne. Bref, des kilomètres de documents bien souvent interprétés au détriment des citoyens ". De 1993 à 1998, 166 modifications de la fiscalité ont été votées, soit une moyenne de 2 par mois.
On comprend que personne n'ose traverser l'océan Pacifique à la nage. C'est pourquoi on ne peut que tenter de dégager l'essentiel des études publiées par quelques rares spécialistes particulièrement documentés.
Mr de la Martinière, qui sait lui de quoi il parle, a démontré dans une première publication en 1990, sous le titre " L'impôt du Diable " 19 En juillet 1996 dans le rapport de la Commission Fiscale qu'il présidait 20, il rappelait dans un sévère rappel critique les principes du complexe gâchis que notre actuelle législation fiscale ne respecte pas.
Mais ces lectures sont trop pénibles pour nos génies contemporains qui ne lisent plus que des " petites phrases" et ne pensent plus que par " bulles ".
Depuis cinquante ans, après Emile de Girardin, il faut bien constater que " tout le monde parle de progrès et personne ne sort de la routine ".
" Un bon impôt est un vieil impôt " répètent avec un aplomb dogmatique ceux dont les cadres mentaux et les structures psychologiques ne sortent pas des profondeurs sociales que Fernand Braudel appelait " les prisons de longues durées ".
Il est indispensable de reprendre toutes les critiques dirimantes accumulées par ces spécialistes, dont l'autorité ne peut-être contestée, pour comprendre qu'il est indispensable de mettre un terme à la situation que nous vivons, contrairement à l'opinion d'un ancien surdoué scolaire qui a, un jour, prétendu que cet amas de textes fiscaux, empilés au cours de décennies voire des siècles, ressemblait à une " cathédrale ".
On citera ici leurs principaux jugements sous les références C1 pour les extraits de " l'impôt du Diable " et C2 pour les extraits du rapport de la réforme fiscale publié en juillet 96.
· " Le niveau des prélèvements obligatoires ne peut plus être dépassé " (C2) "Dans l'O.C.D.E les prélèvements obligatoires sont passés de 26,6% du PIB en 1965, à 32,8% en 1975 et à près de 39,9 en 90. Mais en France, en 90, ils étaient à 44% (C1 p.19) à 45,5 en 95 et à 53,7 en 98.
· " Les ressources courantes de nos administrations publiques ont constamment dépassé d'environ douze points la moyenne observée au sein du G7 " (C2).
· Sur le plan technique " on note les mille petits bricolages qui servent à rendre l'impôt acceptable ou à manipuler la politique fiscale en fonction des objectifs de l'administration " (C1p.26).
· " Nos codes fiscaux sont devenus illisibles à force de perfectionnement et on constate le degré d'automatisation et d'incohérence de notre système fiscal " (C2).
· " La France est le seul pays européen à avoir conservé son mode ancien de recouvrement de l'impôt par voie de rôle ". Or à garder l'impôt direct, son mode de recouvrement actuel revient à s'interdire tout relèvement significatif de son produit et, à terme, à le condamner à une lente agonie ". Dans les conditions actuelles l'impôt à la source est trop lourd à gérer et serait une charge de plus sur les entreprises ". (C1 p.74/75 ) Mais " aussi longtemps que la majeure partie de l'impôt ne sera pas retenue à la source, le système sera bloqué " (C1p.12).
· " L'impôt direct est très concentré en France et les modifications introduites pendant les années 80 ont accéléré le mouvement de concentration " (C1p.67).
· " L'impôt sur le revenu se trouve engagé dans un cercle vicieux. Les taux élevés du barème, alourdis au fil des ans par les prélèvements annexes incitent à multiplier les dérogations, réductions et déductions. Il faut nettoyer ce maquis qui porte atteinte à l'égalité des citoyens et à la neutralité fiscale ". L'impôt sur le revenu doit être réformé dans un triple objectif d'allégement, de simplification, d'équité; il présente trois défauts majeurs : une assiette trop étroite, une progressivité excessive aux deux extrémités du barème et une réglementation trop complexe (C2).
· " L'équilibre des prélèvements n'est pas assuré" " les salariés du SMIG ne disposent pas de revenus distincts de ceux des assistés "(C2).
· " L'épargne est soumise à une triple imposition : impôt sur le revenu pour sa formation, impôt sur le patrimoine pour sa détention, impôt sur le produit (C1 p.87). La hiérarchie des avantages fiscaux procurés aux diverses formes d'épargne est, dans l'ensemble, inverse de leur intérêt économique " (C2).
· " L'imposition du capital présente les défauts d'une imposition de rencontre qui n'a que rarement fait l'objet d'une réflexion d'ensemble...elle est peu cohérente et mal intégrée dans une fiscalité moderne (C1p.100) ." L'impôt sur le capital frappe deux fois plus les biens immobiliers que les biens mobiliers " (C1p.101).
· " Notre pays semble caractérisé par la faiblesse de l'accumulation du capital et un fléchissement inquiétant de la puissance de son industrie " (C2).
· " Pour les industries la fiscalité française est la plus défavorable " (C1p.58).
· " Nos prélèvements obligatoires pèsent très lourdement sur les parties de l'économie qui participent à la production " (C2).
· " L'impôt et les cotisations sociales doivent assurer le financement des budgets publics et des régimes de prévoyance sociaux en troublant aussi peu que possible le comportement des marchés et des opérateurs " (C2) ce qui veut dire en clair en n'étranglant pas les entreprises.
· " Dans la compétition internationale, le constructeur qui gagnera sera celui qui aura les coûts les plus faibles " (C1p.34). " Un Etat qui maintient une pression fiscale plus élevée sur ses produits s'expose au risque de subir une délocalisation massive de ses activités " (C1 p.56). " Les facteurs de production se localisent là où la productivité et les coûts sont les plus favorables " (C1p.18).
· " Ce sont les différences de fiscalité qui sont seules aujourd'hui susceptibles de provoquer des distorsions de compétitivité ", " les distorsions de concurrence dépendent de l'impôt sur les sociétés" . (C1 p.(§-è).
· " Tout prélèvement public qui a pour effet de grever d'une charge définitive un élément quelconque du prix de revient doit être considéré comme nuisible " (C2).
· " En ce qui concerne les charges sociales supportées par les entreprises, leur incidence est douteuse puisqu'elles affectent soit le niveau des salaires, soit le coût du travail donc l'emploi " (C2).
· " La TVA représente un coût de gestion pour les entreprises (C1p.30). N-B : comme toute la gestion administrative, sociale, fiscale.
Parmi les taxes qui grèvent les prix de nos entreprises " la taxe professionnelle est lourde. Son poids excède désormais celui des taxes sur les sociétés et représente plus de la moitié des ressources directes des collectivités territoriales...dont l'économie des ressources ne peut pas être considérée comme satisfaisante " (C2).
· " Les écarts aberrants des taux appliqués selon les communes, les départements et les régions devraient faire l'objet d'une vaste péréquation sur le plan national ".. Sa suppression serait souhaitable à condition que puisse y être substituée une autre imposition à l'assiette plus satisfaisant " (C2).
· " Le patrimoine foncier non bâti est soumis à des taxes qui peuvent être lourdes et sa transmission à titre onéreux donne lieu à la perception de droits plus élevés que partout ailleurs en Europe. Leur rendement réel a été constamment négatif depuis plus de 20 ans " (C2).
· " L'impôt ne cesse de s'alourdir par rapport aux rendements agricoles (C1). " Les vieilles taxes locales sont héritées de deux siècles d'histoire tourmentée "." La fiscalité locale est essentiellement immobilière...finalement on n'est pas très loin de l'impôt sur les portes et les fenêtres ". (C1p.107).
Toutes ces sévères critiques des deux commissions de personnalités hautement spécialisées et d'un professionnalisme indiscutable portent, on le voit, sur l'ensemble des sections de notre législation fiscale.
· " Les règles applicables aujourd'hui se traduisent par une absence de neutralité fiscale ".
· " L'économie de notre système fiscal n'a pas été adapté à l'évolution de notre environnement ".
· " Notre système fiscal a perdu son élasticité. Les dernières hausses fiscales...ont à peine permis de stabiliser en points de P.I.B. des recettes fiscales qui désormais plafonnent " (C2).
Encore faut-il noter que ces deux commissions n'ont pas quitté le sérieux des principes et des règlements et n'ont pas abordé les aspects grotesques de cette législation qui n'en manque pas. Tout particulièrement cette administration avec ses 80.000 agents (autant qu'aux USA cinq fois plus peuplés) s'est donné pour but de peser avec la plus précise balance tous les produits, tous les biens et toutes les activités des habitants de ce pays, de les distinguer, de les analyser, de les disséquer, de les définir pour en tirer non pas des lois philosophiques ou morales mais des impôts et des amendes à verser dans le tonneau des Danaïdes.
C'est ainsi que l'on découvre d'extraordinaires distinguos.
Avant sa dernière augmentation au printemps 96, la TVA était :
¾ de 5,5 sur le chocolat mais de 18.6 sur le chocolat blanc,
¾ de 5,5 sur les huiles mais de 18,6 sur les huiles à base d'amande douce,
¾ de 18,6 sur les aliments distribués par appareils automatiques si le client disposait d'une chaise et d'une table, sinon sans table de 5,5,
¾ le traiteur était imposable au taux de 5,5 mais si le client consommait dans sa boutique le taux passait à 18,6,
¾ si le traiteur livrait à domicile le taux était de 5,5 mais si les plats étaient servis par son personnel le taux passait à 18,6,
¾ le taux majoré de 28% s'appliquait aux opérations de façon et de vente des pelleteries apprêtées et lustrées, neuves ou d'occasion à l'exception de celles provenant de lapins, lièvres ou moutons d'espèces communes non dénommées. Les vêtements dans lesquels ces pelleteries entraient pour au moins 40% étaient passibles du taux majoré de 28%,
¾ selon le Bulletin Officiel de la Direction Générale des Impôts du 28 Août 1984, les saillies des poulinières par des étalons étaient passibles de la TVA à 18,6 parce que ces opérations portent sur des services et non sur des produits agricoles transformés de telle sorte que les dispositions de l'article 278 bis du Code général des impôts ne sont pas applicables.
¾ les bonbons, caramels, nougats étaient passibles du taux de 18,6; par contre les produits à base de céréales l'étaient à 5,5. L'ancien inspecteur des impôts, Mr Robert Mathieu, dans son livre " Le racket fiscal " qui lui valut d'être mis à pied, pose la question : " comment calculer le taux applicable aux friandises composées à la fois de céréales, de chocolat et de caramel " ?,
¾ le même auteur signalait que le propriétaire d'un élevage de poissons et organisateur de pêche à la journée se vit répondre par un premier inspecteur interrogé : " un élevage de poissons c'est une activité agricole, donc 5,5. Quelques années plus tard, un autre inspecteur lui déclara que sa pêche à la journée d'une " aire de loisirs donc passible d'une taxe de 18,6 et lui appliqua une amende de 400.000 francs "..
Comme quoi cette législation fiscale peut aussi s'interpréter; ce qui n'est guère rassurant pour les administrés soumis à la décision de ses agents, ni d'ailleurs pour les agents eux-mêmes qui ont plus de 15.000 textes "d'instructions" à appliquer !
MAIS ALORS QUE FAUT-IL FAIRE?
Réformer une législation fiscale aussi archaïque, aussi peu adaptée aux réalités contemporaines, aussi confuse, aussi malthusienne, est-ce possible ?
" Les marges de manoeuvre de l'Etat sont étroites et limitées par la progression continue du coût de la dette publique et le rééquilibrage de tout cela ne peut-être que long et particulièrement délicat " (C2).
Perdre un temps précieux — il faudrait plusieurs années — à corriger cet amas de textes serrés et confus, du fait des incessants reports de chapitres en chapitres, serait d'autant plus impardonnable qu'une telle tentative ne remettrait pas en cause la conception, héritage de l'antiquité qui consiste à taxer chaque produit, chaque bien, chaque activité de taxes spécifiques à des taux divers après des analyses d'un byzantinisme consternant.
Cette fiscalité de conception et de moyens archaïques est la plus stupide et la plus injuste qui soit. Elle augmente les prix de tous nos produits et de toutes nos activités jusqu'à les priver de toute compétitivité sur nos propres marchés intérieurs, bloque les salaires, multiplie les chômeurs et les exclus, diminue nos investissements et la consommation livrant nos principales sociétés aux capitaux étrangers sous couvert d'unions.
Elle est l'impôt indirect le plus scandaleux qui pèse sur toute la population et en particulier sur la plus pauvre.
Elle est en plus paperassière. La plus confuse et la plus coûteuse qui soit et sans recours possible, la plus continûment déficitaire.
19 Président d'une commission composée d'une dizaine de personnalités de premier plan sous l'autorité de la fondation Saint-Simon Calmann Lévy, Editeur.
20 Commission de la Réforme Fiscale, composée de Mrs Robert Baconnier, ancien directeur général des impôts, Jacques Delmas-Marsalet, ancien chef de la législation fiscale, Bernard Ducamin, ancien chef de la section des Finances au Conseil d'Etat, Jean Marmot, ancien directeur de la Sécurité Sociale et Alain Demarlle, inspecteur des finances.
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.