LA FRANCE ET SON CANCER FISCAL
Pierre Mendès France, le seul de nos hommes d'Etat depuis la guerre qui fut un spécialiste de l'économie, écrivait en 1973 : " si le budget est aujourd'hui trop lourd, si le fardeau fiscal accable les branches essentielles de notre activité nationale la raison en reste bien la répartition inégale et injuste des impôts qui écrasent surtout les producteurs " 1
C'est bien ce que nous constatons depuis trente ans : une fiscalité archaïque et inadaptée est la cause de l'écrasement de notre économie dans tous les domaines de l'activité, de l'artisanat et du petit commerce, jusqu'au grand groupe de rang international que rachètent à bas prix les capitaux étrangers.
Avec un entêtement obtus nos " experts " s'obstinent à prendre le problème à l'envers : par leurs pratiques ils rognent les salaires, les revenus, et les prestations sociales au lieu de faire baisser les coûts de l'activité nationale. Notre fiscalité les augmente chaque année par l'élévation des prélèvements obligatoires, toujours insuffisants pour couvrir les dépenses publiques et enfonce le pays dans l'abîme en recourant à des dettes publiques irrécouvrables.
Nous savons que les administratifs ont pour fonction d'appliquer des règlements dont la rigidité est la vertu. Nous savons aussi que si la réalité — à laquelle ces règlements s'appliquent — vient à changer, c'est pour eux la réalité qui à tort. On ne change pas ce que l'on tient pour principe. Les faits, pour nos mandarins, doivent se soumettre à la pérennité de leurs méthodes, ou ne pas être.
La réflexion nous oblige tout d'abord à prendre en compte les notions les plus élémentaires négligées dans tous les débats :
· dans une économie de marché les prix de vente sont déterminés par les prix de revient ou coûts,
· les coûts comprennent les salaires avec, dans la législation actuelle, leurs charges fiscales et sociales,
· les matières premières et / ou les produits semi-finis avec leurs charges fiscales et sociales incorporées,
· les services nécessaires, énergie, transport, divers et spécifiques également grevés de leurs propres charges fiscales et sociales,
· sur quoi s'impute la TVA sur l'ensemble de ces coûts, charges et impôts compris à ce quadruple niveau.
Or ce qui saute aux yeux c'est la part des impôts, taxes et charges dont le montant est plus élevé que le montant des salaires.
Ainsi alourdis, les coûts interdisent toute compétitivité à nos entreprises qui perdent tous les marchés même intérieurs. Ce qui se traduit par le chômage qui diminue les recettes permettant d'y faire face et qui augmente les dépenses publiques.
Depuis trente ans nos hommes d'Etat n'ont rien compris à cet engrenage et, bien sûr, n'ont aucune idée pour l'arrêter.
Le fait dirimant * est que les ponctions plus lourdes imposées à nos entreprises ne sont ni récupérables à l'exportation, ni imposables sur les produits étrangers importés, de sorte que notre actuelle technique fiscale favorise objectivement la concurrence étrangère.
Concrètement dans les conditions présentes, nées des contraintes de la routine, quand un Français achète un produit importé parce que son salaire n'augmente pas (concurrence des prix), que ce produit est moins cher, ce qui est de jour en jour plus fréquent, la France est privée, par son propre système fiscal, des salaires, des taxes et des cotisations sociales dont elle aurait bénéficié si ces produits avaient été compétitifs.
Barrage à l'exportation, prime aux importations, destruction de nos activités économiques, augmentation du chômage, diminution des recettes budgétaires et sociales, telles sont les conséquences du maintien d'un système anachronique et stupide.
Depuis trente ans aucun de nos hommes politiques ne s'est aperçu que cette situation, renouvelée d'année en année, se traduisait par une courbe de chômage rigoureusement parallèle à celle de l'augmentation des prélèvements obligatoires sur nos entreprises et leurs salaires. Vouloir soumettre la vie créatrice à un formalisme rationaliste n'aboutit qu'à la stériliser. Sa prolificité changeante ne supporte pas l'encadrement bureaucratique et contraignant qui, irréversiblement, passe de l'inefficacité à la nocivité.
Nous vivons désormais dans un Etat qui a atteint son niveau d'incompétence ne distribuant plus, comme son rôle l'astreint, de mesures incitatives et même de moins en moins de mesures conservatrices appropriées.
Il est grand temps de ne plus entremêler les genres et de clarifier les notions. Les objectifs et la justification des budgets de l'Etat, national et social, n'ont rien de commun avec les activités des entreprises. En demandant à nos producteurs et distributeurs de subvenir aux besoins de la santé publique, de la démographie, de l'assurance personnelle, de l'infrastructure et des investissements de l'Etat, on compromet en pratique leur propre rôle social, celui de créer des emplois, de distribuer des salaires, d'élever le niveau de vie de la population par la multiplication et la qualité des biens et l'abaissement de leurs prix.
Or plus un groupe humain se développe plus les méthodes pérennes de ses administrations sont déphasées du fait de la mouvance des événements. Conçues selon d'anciennes structures pyramidales, elles sont de moins en moins adaptées à leurs objectifs et sont appelées à multiplier leurs interventions de détail donc à s'étendre au delà des limites de l'efficacité et du contrôle de leur rendement. On constate que dans toutes les administrations publiques importantes les personnels de bureau sont plus nombreux que les agents actifs, sauf dans les départements ministériels " sacrifiés ", Justice, Intérieur, Contrôle etc. ce qui est un non sens.
Nous avons appris, en diverses occasions, que des directions de ministères et d'organismes pléthoriques ne connaissaient ni le lieu de travail, ni le genre d'activité ni même le domicile d'un pourcentage important de leurs employés. On a cité officiellement un nombre, d'inconnus appointés, s'élevant à 185.000 et même plus de 200.000F !
Il y a une vingtaine d'années Mr F. Block-Laine, Président de la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction Publique, constatait qu'en dehors de quelques initiatives isolées de quelques ministères, aucun outil de gestion prévisionnelle d'ensemble n'avait été élaboré.
Un fait a valeur de loi : au-delà d'une certaine taille et d'une certaine dispersion , l'absentéisme, le laisser-aller, la paresse et la gabegie s'installent dans tous les secteurs en même temps qu'une démission de l'autorité à tous les niveaux. Les notions de responsabilité et de service public se perdent au profit exclusif des intérêts corporatifs et individuels des agents.
On sait que chaque année 93% du budget de l'Etat sont reconduits par l'administration sans aucun contrôle des parlementaires. Nous en sommes arrivés au point où ce sont les utilisateurs des crédits qui en fixent le montant sans avoir à en prouver la rentabilité de l'emploi.
Pierre Mendès-France pour qui " les réalités doivent être le support obligé de la pensée " n'oubliait jamais de rappeler " qu'il n'y a pas de démocratie quand il n'y a pas de contrôle parlementaire et " qu'un contrôle à posteriori ne s'occuperait pas seulement de la régularité des opérations, mais devrait s'assurer que les objectifs on été atteints au coût prévu " 2
Le prétendu contrôle de la gestion administrative par l'administration elle-même est une supercherie. Elle enregistre les factures sans s'occuper des résultats de la dépense. Les " affaires " qui se multiplient nous disent bien qu'il n'en a rien été depuis 25 ans. Il est indispensable que le Premier Ministre dispose d'un sous-secrétariat aux contrôles et de donner à la Cour des Comptes le droit de poursuites. Depuis sa création sous la première république sa mission est restée limitée à l'information des pouvoirs publics qui n'ont jamais tenu compte de ses informations parce que généralement compromis dans la réalisation des projets contrôlés.
L'Administration gère aujourd'hui le pays selon le fait du prince. Par définition ou par construction elle a pour mission d'appliquer des lois et des règlements sans avoir pour vocation de les modifier. Ce qui explique qu'elle révère le sacro-saint statu quo et ignore la vie, confondant immobilisme et équilibre économico-social.
Sa prolifération atteint tous les domaines des plus connus aux plus secrets en même temps qu'elle multiplie les postes de direction, de sous - direction, de chefs de services et ses dépenses de consommation, tout en retardant les décisions et les exécutions.
La production paperassière croit en proportion des effectifs. Pour imprimer les modifications d'un texte des lois et règlements fiscaux, les commentaires et le flot des rapports sur les sujets les plus invraisemblables que personne ne lit, écrits dans une langue parfois obtuse et toujours à prétention scientifique, il fallait déjà, il y a vingt ans, couper chaque année une forêt de plus de 3.500 hectares. L'augmentation n'a fait que s'amplifier. S'y ajoute chaque année la production des vingt-deux organisations régionales, assemblées, commissions, directions et sous-directions chargées chacune d'instruire le moindre projet dans chaque commune, de l'ouverture d'une fenêtre à un simple abribus, jusqu'à l'utilisation d'une prairie comme terrain de football pour enfants.
Quand la décision est prise il faut en informer le canton, la sous-préfecture, la préfecture. Le Délégué départemental à la ville fait connaître au demandeur la décision positive ou négative.
Les neuf postes de commission ou direction dans chacune des vingt-deux régions font double-emploi avec les services techniques des quatre-vingt dix préfectures. Dès 1992, les dépenses des administrations locales atteignaient la moitié des dépenses des administrations centrales.
Cette croissance incontrôlée qui nous mène à l'implosion, à l'instar des bureaucraties des pays de l'Est, est le fait que le corps politique est devenu plus faible que le corps administratif. Cette paralysante domination ignore les réalités vivantes qui se poursuivent, irréductibles. Des méthodes souillées d'anachronismes, périmées, avec une forte tendance au verbalisme et aux incantations. Aucun d'eux n'a contrôlé que la réduction des heures de travail n'avait aucun rapport avec le chômage 3.
Nous vivons dans l'ignorance et la tricherie permanente que nos experts prennent pour de l'habileté parce qu'ils ne pensent ni aux causes ni aux effets induits dont la crise est le produit.
Il n'est donc rien de plus urgent pour éviter la disparition de la France dans l'enfer de l'histoire que de supprimer radicalement notre fiscalité cancéreuse. Les conceptions, les méthodes et les techniques sont d'un anachronisme stupide. Il est urgent de supprimer drastiquement toutes les activités paperassières qui non seulement ne produisent rien, mais bloquent tout. On parle depuis trente ans de la réformer, mais personne, sauf quelques rares experts que personne ne lit, n'ose affronter cet amas de paragraphes, de règles et de chiffres, grâce auxquels on s'est efforcé de taxer spécifiquement toutes les activités, tous les produits et tous les biens des citoyens. Chaque année les spécialistes officiels retranchent et rajoutent des textes qui compliquent tout et ne résolvent rien.
La multiplicité, la diversité et le changement des faits économiques et sociaux débordent sans cesse les définitions écrites et leurs applications. Il en est même résulté un état d'esprit systématiquement répressif chez les agents du fisc auquel s'ajoute des pratiques policières qui nécessitent la multiplication des effectifs de contrôle et des instruments de détection des " suspects " que sont par principe tous les citoyens de ce pays. Le fisc en est arrivé à payer des dénonciateurs, moyen que la police n'utilise que dans la recherche des criminels.
A l'encontre de toute dynamique vitale on en arrive à définir, à organiser, à administrer, à légiférer, à circonscrire, à contraindre, et à ponctionner tout dans le moindre détail.
Il s'est ainsi créé et développé un corps de doctrine des malades mentaux à la Savonarole pour qui " il faut enfermer toute la population dans un système cohérent " où " tous les moyens d'existence doivent être repérés ", où toutes les transactions doivent être suivies sans qu'on en perde la trace. "Il faut ouvrir un dossier pour chaque bien " et " enfermer les vivants entre des planchers et des plafonds ". L'augmentation des taux de prélèvements dépassant le supportable provoque, en réaction automatique de défense, la fraude, l'évasion et l'abandon ce qui enfonce le pays dans une infernale chute en vrille. Tout ce système d'un rationalisme de primitifs avorte dans la plus totale inefficacité, dans l'insuffisance des recettes qui couvrent de moins en moins l'augmentation des frais de gestion et détruit de jour en jour notre économie.
Quoi qu'en pensent nos mandarins l'actuelle fiscalité ne fait pas partie des textes révélés. Ce n'est rien de plus qu'une technique qui, comme telle, se doit d'évoluer en fonction de l'évolution des réalités économiques et sociales. Il ne s'agit donc pas d'en prolonger l'emploi mais de la remplacer au plus vite en utilisant les techniques les plus modernes.
Toutes les techniques ont évolué au cours de l'histoire, le gaz puis l'électricité ont remplacé la chandelle, le moteur a remplacé le cheval; il en est de tout ainsi.
Mais la technique a ses exigences. On ne construit pas un tracteur en réformant un char à bœuf. Claude Allègre le répétait souvent : " on n'a pas découvert l'électricité en perfectionnant la bougie ".
Nous avons aujourd'hui, grâce à l'équipement ultra moderne des organismes financiers agréés, une technique automatique prélevant l'impôt à la source et l'envoyant directement au Trésor Public. Elle supprime la multitude des agents intermédiaires, cette technique honnête, simple, efficace et peu coûteuse aurait rempli d'aise Adam Smith il y a deux siècles.
Il ne s'agit plus de " prendre l'argent où il est, mais de le collecter où il passe " car c'est sa fonction de changer de mains. La solution est la Taxe Automatique sur les Mouvements de Fonds (T.A.M.F.), une taxe très faible de 1% sur les mouvements des particuliers et des entreprises, débits plus crédits et de 2,5‰ sur les mouvements financiers.
En deux ans toutes les difficultés que connaît le pays seraient réglées évitant aux Français la médiocrité et la misère d'une débâcle prévisible, permettant à la France de ne point sombrer, victime d'une Administration conservatrice.
3 L'échec des grandes idées simplistes.
Les mises à la retraite anticipée, qui ont constitué un véritable gâchis d'expérience et d'argent, n'ont en aucune façon favorisé l'embauche pas plus que la diminution des heures de travail n'a créé d'emplois. L'échec était prévisible : la résorption du chômage ne dépend que de la relance économique et celle-ci n'est possible que grâce à la compétitivité des prix.
Source : OCDE - Principaux Indicateurs Economiques - Mai 1990.
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Dernière mise à jour le : 04 mars 2006.